« La douane de mer » de Jean d’Ormesson

Je me demande ce que Jean d’Ormesson aurait pensé de cette pandémie. Lui qui aimait tant les voyages, l’Italie, Venise, les bains de mer, les livres et tous les plaisirs de l’existence…

Ce grand enfant émerveillé par la vie, manque à beaucoup de gens. Je fais partie de ceux-là. Heureusement, il nous reste ses livres. Des trésors précieux à savourer…

J’ai toujours aimé la lecture, mais la période de confinement que nous venons de vivre, m’a permis de renouer avec le plaisir intemporel des grandes lectures romanesques. Ces dernières années, je favorisais la lecture de livres pratiques et d’essais sur la création artistique, le développement personnel, la spiritualité… J’ai redécouvert ces temps-ci le plaisir immense de m’évader en lisant de grandes et belles histoires dépaysantes.

Je viens de lire « La douane de mer ». J’aime beaucoup Jean d’Ormesson. Sa très grande culture, sa personnalité attachante, sa franchise désarmante et le charme irrésistible de ses conversations solaires et joyeuses, sa légèreté teintée de profondeur… Un délice. Je vous propose un lien pour aller voir cet interview de Jean D’O par Léa Salamé , dans lequel il joue de son charme coutumier avec une sincérité touchante,  ou encore ce numéro de La Grande librairie… Il y a sur la toile de nombreux interviews de Jean d’Ormesson. Ces deux-là méritent vraiment d’être écoutés avec attention… Il était aussi le roi des citations d’autres auteurs, toujours parfaitement choisies et dites avec tant d’éloquence.

Quel bonheur de retrouver le style unique et si caractéristique de cet amoureux des mots. Un exemple pour tout aspirant écrivain… Sa vision du monde et de la vie, est également une source d’inspiration pour tout être humain qui, comme lui, aime la vie et tente, tant bien que mal, d’y trouver un sens.

Le propos de « La douane de mer »: l’auteur (O), meurt dès la première page. Alors qu’il s’apprête à quitter la terre pour s’envoler vers une destination inconnue, il croise A, un esprit venant d’une galaxie lointaine dans le but d’étudier la terre et ses habitants. A demande à O de lui accorder trois jours avant de quitter définitivement la terre, afin de l’aider à comprendre le fonctionnement du monde, et surtout celui des hommes,  leur histoire, leurs modes de vie… Tout cela dans le but de rédiger un rapport qu’il doit ramener dans sa galaxie. Survolant la terre, trois jours durant, les deux esprits parcourent ainsi l’espace et le temps…

Ce sujet en or est évidemment le prétexte à une présentation haute en couleurs du monde, des aléas de son histoire… C’est aussi l’occasion d’un portrait touchant: celui des êtres humains, créatures vulnérables et attachantes, aux comportements parfois déroutants, qui doivent affronter, depuis la nuit des temps, leurs destins de mortels avec courage, tout en essayant d’être aussi heureux que possible.

Quelques extraits choisis:

-« Même achevée par la mort, la vie est une splendeur ».

-« Le temps emporte les hommes. Mais ils passent leur vie, leur vie si courte et si belle à penser à autre chose […]. A l’argent. Au travail. Au confort. Au plaisir. Au temps qu’il fait. Aux vêtements à porter. Aux gens qu’il s’agit de voir. Aux affaires à traiter. A toutes les règles du jeu. A presque rien et à tout.[…] Les hommes se débattent comme ils peuvent au milieu des pièges et des désastres qui surgissent de partout. Le monde est surtout un bonheur parmi tant de malheur. C’est une fête en larmes. C’est un échec radieux. Je savais qu’un jour ou l’autre mon histoire ici-bas allait finir assez mal et que j’allais mourir puisque j’étais un homme. J’ai fait ce que j’ai pu de cette stupeur ardente qui m’a été donnée sous forme de jours et de nuits, de forêts où me promener, de mers où me jeter, de mots à lire ou à écrire, de beauté et de rires. »

-« Aucune aventure humaine n’est une aventure solitaire. Les hommes sont liés entre eux par des liens innombrables. Aucun de ces liens n’est aussi fort que l’amour qui emporte en même temps les corps et les âmes ».

-« Rien de plus flou que l’amour. Ni de moins scientifique. Il n’est fait que de détails, d’accidents, de paradoxes, de surprises. Et de silences ».

-« Partir est un grand bonheur. J’ai beaucoup aimé partir. J’ai beaucoup aimé le monde. J’ai beaucoup aimé la vie. J’ai beaucoup aimé les femmes, les routes, les paysages. J’ai beaucoup aimé le plaisir. J’ai beaucoup aimé l’amour. »

-« Je cherchais dans mes souvenirs ce que j’avais aimé – Peut-être le monde lui-même. La vie, bien-sûr, mais plus encore le monde. Le monde et son spectacle […] J’aimais regarder le monde d’un peu loin, comme si j’étais de passage.  Et je l’étais en effet. Une sorte de touriste en vacances sur les plages de cette planète, dans ses collines, dans ses campagnes. […] Le monde est un théâtre. Nous y bâclons tous notre numéro sous les projecteurs de l’histoire. Nous récitons notre texte, on nous applaudit, on nous siffle et, après avoir fait de la figuration à peine intelligente dans la plus belle des pièces – un succès universel, un triomphe, un chef d’œuvre: l’histoire des hommes sur la terre – , nous rentrons à jamais dans les loges de l’oubli et de l’éternité ».

-« Il y a eu sur cette terre des machines à faire rêver qui ont laissé un nom dans la mémoire de ses hôtes. On les appelle les livres. »

-« Peut-être parce que chacun d’eux est lui-même une histoire, les hommes aiment à la folie qu’on leur raconte des histoires. Le monde n’est qu’une histoire où s’emboitent des histoires. La tienne, la mienne, la nôtre… »

-« L’important est de jouer avec notre destin pour nous distraire du temps qui passe et de détourner vers des voies de garage l’angoisse de notre condition […] Tout est histoire, les guerres, les maladies, les larmes, les souffrances, le savoir, l’inconscient, la mort […]. Il y a des histoires plus complètes, plus achevées, plus cohérentes que d’autres. On les appelle des chefs-d’œuvre. Le chef-d’œuvre le plus achevé, le plus cohérent, le plus complet, c’est l’histoire du monde dont les héros sont les hommes. »

-« La vraie gloire des hommes, ce ne sont pas les génies, les talents, ceux qui se distinguent des autres. La vraie gloire des hommes est ailleurs. Dans le silence, dans le travail, dans la patience, dans le courage. La vraie gloire des hommes, ce sont les hommes eux-mêmes, dans leur diversité et leur totalité. Les milliards et les milliards d’hommes dont les noms sont perdus mais dont la seule existence a fait marcher l’histoire.

Je profite de cet article pour ajouter quelques extraits d’autres livres écrits par Jean d’Ormesson et que j’aimerais vous faire partager:

-« Rien n’est plus proche de l’absolu qu’un amour entrain de naître. Le stupéfiant, le merveilleux, c’est que cet absolu nait du hasard ».(Dieu, sa vie, son oeuvre)

-« Souvent, je suis triste. Le monde n’est pas gai. Alors, je trompe mon monde en riant. La gaité est la forme de ma mélancolie ».(Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit »)

-« Les hommes veulent d’abord survivre. Et tout de suite après, les meilleurs d’entre eux au moins, ceux qui font bouger l’ordre établi et qui laissent derrière eux des traces de leur passage, se désespèrent de voir leur vie se perdre dans les sables et tomber dans l’oubli. Ils veulent qu’elle prenne un semblant de sens. Alors, ils chantent, ils peignent, ils se servent de la terre ou du bois ou de la pierre ou de la toile ou du papier pour inventer des objets, ils font la révolution, ou des livres, ils laissent derrière eux des sortes de monuments. Ils souffrent et ils espèrent. Et ils regardent les nuages dans le ciel, l’eau qui coule, la mer si elle est là, les étoiles la nuit. Je crois qu’ils aimeraient tous savoir ce qu’ils font là. » ( Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit).

-« Ce qu’il y a de plus remarquable dans l’histoire de l’univers, c’est que les malédictions ne tardent jamais longtemps à se changer en bénédictions. » ( Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit).

-« Ce que j’ai aimé le plus au monde, je crois que c’était la vie.[…]. J’aimais beaucoup les matins, le soleil, la lumière qui est si belle. Et les soirs avec leurs secrets. Et les nuits aussi. Après les surprises et l’excitation du jour, je m’enfonçais dans l’absence avec une silencieuse allégresse. J’aimais beaucoup dormir. Et j’aimais me réveiller et aller me promener dans les forêts ou le long de la mer. » […] Il y avait dans cette attitude quelque chose d’audacieux: elle n’était pas répandue chez ceux de mon époque. Ils cultivaient leur refus et leur mauvaise humeur avec ostentation. […] Le bonheur d’être au monde que j’ai éprouvé avec tant de violence n’était pas très bien vu.[…] Il y avait du mal dans ce monde, le sang y coulait à flots, des mères cherchaient leurs enfants au milieu des décombres, l’homme allait peut-être disparaitre, victime de son propre génie, et il n’en finissait pas de souffrir. Est-ce que je l’ignorais? A côté des horreurs qui n’avaient jamais cessé de s’enchaîner les unes aux autres et en attendant les désastres qui ne pouvaient manquer de survenir, il y avait aussi des roses […], il y avait de jolies choses à lire, à voir, à écouter, de très bonnes choses à manger et à boire, des coccinelles pleines de gaité, de la neige sur les montagnes, des îles dans une mer très bleue.. »( C’était bien)

J’espère que ce choix vous donnera envie de replonger dans l’œuvre de cet enchanteur de la littérature et de la vie.

Et vous pouvez terminer par cette belle émission hommage  datant de Décembre 2017 (La grande librairie de François Busnel.)

-C’est « Épatant »!… dirait Jean d’Ormesson.

 

 

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