Mon goût prononcé pour les écrits et les idées de Sylvain Tesson, mon intérêt pour la culture et les paysages celtiques et ma conviction de plus en plus grande que seul l’émerveillement devant la beauté de la Nature peut encore( peut-être…) nous sauver… Toutes ces raisons m’ont tout naturellement amenée à lire le dernier livre de Sylvain Tesson: « Avec les fées ». Que voulez-vous: je suis une fan absolue des tournures d’esprit et du style de ce Monsieur…
Fatigué de notre « monde de machines et de banquiers » (vous savez combien je partage ce sentiment!), Sylvain Tesson décide cette fois de partir à la recherche des « fées ». Il nous propose de le suivre dans un voyage le long des côtes atlantiques parfois à pieds, parfois par la mer, sur le voilier d’un ami, depuis la Galice jusqu’au Nord de l’Écosse, en passant par la Bretagne, les Cornouailles du Pays de Galles, l’île de Man, et l’Irlande…
Lorsqu’il parle de fée, il ne parle pas de « fille-libellule qui virevolte en tutu au dessus des fontaines ». Non. Pour lui, « le mot fée signifie tout autre chose. C’est une qualité du réel révélée par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle ».[…] « Lorsqu’on regarde le monde avec déférence, elles apparaissent. Soudain un signal. La beauté d’une forme éclate. Je donne le nom de fées à ce jaillissement ».
Je suis immédiatement touchée par ses tournures de phrases, en résonance parfaite avec mes propres états d’âme, lorsque je marche en solitaire, en forêt, ou sur les sentiers côtiers… Nous sommes à peine à la dixième ligne du livre et j’ai déjà l’impression de marcher à ses côtés sur les rochers, face à la mer, l’horizon, le ciel… Et je me délecte déjà d’avoir le privilège de pouvoir partager la finesse et l’intelligence de ses réflexions manuscrites, jetées sur son carnet, tout au long de ce voyage le long de l’arc celtique.
Extraits choisis:
-« S’arrêter et regarder la mer: première leçon d’un bréviaire du romantisme ».
-« Devant, la mer. Le ciel s’y fond. Les hommes appellent « horizon » cette sublimation. »
-« En Bretagne, le paysage est une ivresse ».
-« Le vent devait avoir un projet.Il ne se calma pas. Tout s’enivrait: les mouettes, les fous, les vagues,les embruns. Seule la terre tenait bon. Le vent est la joie de vivre de la mer ».
-« Les vagues se succédaient en rangs volontaires. L’univers est un rythme. La mer n’est jamais lasse. La terre se retient. Il y a la mer imperturbable, la terre imprenable, le mouvement perpétuel, le ciel impassible et l’homme parfaitement égaré ».
-« je rêvais beaucoup. Pourquoi les fées de mon enfance avaient-elles brûlé? La technique s’était emparée du monde, les masses s’accroissaient, le commerce menait la danse. Partout, bruit, raison, calcul, fureur. Les fées avaient reculé devant cette conjuration. Elles s’étaient repliées dans le silence ».
Comme dans tous les livres de Sylvain Tesson, la beauté de la nature est un sujet central, mais il amène presque toujours à une réflexion plus large sur certains sujets de société. Ici, il aborde notamment la disparition d’un certain sens du sacré dans nos sociétés occidentales contemporaines et m’a fait indirectement réfléchir sur le reniement actuel, de plus en plus radical, des mythes fondateurs de notre pays.
-« Partout en Europe, le révolution industrielle annonçait l’abolition de l’homme. Des cœurs purs entrevoyaient ce que le progrès leur ferait perdre. Déjà la modernité donnait sa forme au monde. Hideuse. La pollution, ombre du progrès, s’infiltrait dans les cœurs […] Le peuple irlandais s’aperçut qu’il détenait une origine. Elle était glorieuse et noble, venue du ciel et de la mer. Les dieux et les marins s’étaient alliés pour inventer un peuple. On l’avait oublié. Le renouveau celtique servit à ranimer la flamme. […]L’Irlande est indépendante depuis plus d’un siècle. L’identité celtique est une sculpture taillée il y a deux cent cinquante ans par une troupe de poètes, de marins, de paysans qui ont lancé un appel dont l’écho s’amplifia. De la Galice à L’Écosse, sonnent aujourd’hui les cornemuses d’une idée très récente, enracinée dans une mythologie très lointaine. Les esprits rationnels y voient une affabulation doublée d’une imposture. Le sentiment d’une appartenance à un espace géo-spirituel rebute les âmes techniques. Certains historiens à la triste figure dénoncent l’artifice des imageries mentales celtiques. Ces moralisateurs aspirent à une histoire rationnelle. Qui peut sérieusement croire que l’histoire n’est pas un roman? Toute écriture n’est-elle pas réécriture? […] Après tout, le Gavroche de Paris pistolet de l’égalité au poing n’a pas plus de réalité que la reine blonde jouant de la harpe celtique au milieu des menhirs. Est-ce un crime de fixer dans le mythe l’origine d’un peuple? »
-« Nous savions que le renouveau celtique procédait de la propagande. Pis! d’une ferblanterie politico-romantique. Nous n’en aimions pas moins les récits de navigations magiques et d’îles suspendues. Les images enluminent le réel. La vie chatoie, blasonnée de symboles. »
-« L’absence d’un mythe était notre malheur tricolore, à nous qui avions tué le mystère. Nous, nous continuerions à nous haïr les uns les autres. Au nom de l’égalité, les français s’étaient condamnés à ne pas connaître de vibration commune. Soulagés que rien ne nous soit supérieur, nous nous satisfaisons que tout nous soit semblable. Le soir, au pub, la télévision diffusa les obsèques de la reine.[…] Les funérailles d’Élisabeth durèrent des heures. La France découvrit ces anglais inclinés devant un roi qui s’inclinait devant Dieu. Ce fut la stupeur. Le français ne s’incline jamais. »
Et comme toujours, une conclusion à la fois simple et flamboyante:
-« La liberté était celle de regarder la monde éperdument, empli d’un amour pour toute chose qui défilait. Charge à nous de faire de la vie une forêt de Brocéliande bruissant du souvenir de nos proches défunts, de nos amis évaporés, de nos âmes sœurs, de nos mentors élus et de nos saints patrons. Et dans les lacets qui me ramenèrent à la baie du voilier, je décidai que j’avais trouvé le Graal. Ce qui se tenait là et pas ailleurs était le Graal. […] C’était à la fois la plus simple et la plus titanesque des conduites: adorer la présence.
« Le Graal apparaissait donc, pour peu que l’on décidât la quête achevée. Alors, tout se révélait. Et le monde suffisait. »
« Que cela soit comme cela veut ».
Une fois de plus: un très bon livre de Sylvain Tesson.