J’ai cité quelques fois Sylvain Tesson dans ce blog (notamment dans un article sur Vincent Munier écrit en novembre 2020, avec lequel il a voyagé et écrit un livre). … Cet écrivain-voyageur, géographe de formation, est un personnage atypique, connu pour ses voyages et ses expéditions souvent extrêmes ( ses traversées de continents entiers, à vélo ou à pied) dont il rapporte des carnets de notes ou des films. Il est aussi un auteur prolifique, devenu à présent un de mes écrivains préférés.
Sans avoir lu ses livres, j’avais entendu parler de l’auteur fantasque et de l’aventurier qu’il était avant son accident. En 2014, il chute du toit d’une maison qu’il avait escaladée, après une de ces soirées bien arrosées dont il était coutumier à l’époque. Il reste plusieurs jours dans le coma et sort de cet accident cassé de partout et en partie défiguré.
Ces derniers mois, je suis tombée plusieurs fois sur des reportages le concernant. L’intelligence de ses interventions à la télévision ou à la radio, a commencé à m’interpeller. Je trouve ses propos brillants et toujours très pertinents. J’ai notamment regardé l’émission littéraire « la grande librairie » de François Busnel dans laquelle Sylvain Tesson parlait de son parcours d’écrivain et de voyageur solitaire. Il racontait aussi son accident, sa convalescence et son cheminement pour se sortir de l’état dans lequel cette chute l’a plongé. Son histoire, sa façon de s’exprimer, son éloquence, ses idées et sa vision de la vie m’inspirent. J’ai commencé par lire le livre qu’il présentait ce soir-là ( « un été avec Rimbaud »). J’ai eu naturellement envie d’en lire un autre (« Une très légère oscillation »), puis un autre (« Sur les chemins noirs », dans lequel il raconte la marche « rédemptrice » qu’il entreprend après son accident, à pied et en solitaire, entre Le Mercantour et le Cotentin). Puis j’ai lu sa « Géographie de l’instant »… Et je me suis vraiment régalée avec chacun de ces livres.
J’aime son style insolent, parfois drôle, parfois poétique… ses propos sont toujours plein de bon sens et d’intelligence…Je partage la plupart de ses idées sur la société, sur la marche du monde, sur la nature humaine, ainsi que son amour de la nature et des grands espaces. J’aimerais juste avoir un peu de sa virtuosité verbale.
Je ne suis pas la seule à m’intéresser au personnage, à ses idées et à son écriture, puisque je viens d’apprendre qu’un film inspiré de son livre « Sur les chemins noirs » est en tournage actuellement, avec le comédien Jean Dujardin dans le rôle de Sylvain Tesson. Il s’appellera « Sur les chemins de pierres », et je suis déjà impatiente de le voir.
Un autre film inspiré de son livre « Dans les forêts de Sibérie » était déjà sorti en 2016. Je vous propose de cliquer sur le lien qui suit pour visionner la bande annonce du film ( « Dans les forêts de Sibérie« )
Alors si aujourd’hui, un deuxième film est tourné sur ce personnage particulièrement inspirant, c’est plutôt une bonne nouvelle. Si c’est le moyen pour qu’un plus large public puisse le découvrir et ait envie de lire ses livres, ce sera une très bonne chose.
En attendant le plaisir de voir ce film, je vous propose ici de découvrir quelques extraits de ses livres, dont je vous conseille vivement la lecture.
-« Le bloc-notes est le genre qui convient le mieux au voyageur, à celui qui souffre de ne pouvoir consigner par écrit tout ce que sa curiosité lui offre d’émerveillement ou lui cause de chagrin. Qu’est-ce qu’un bloc-note? Un herbier. Sur le chemin, on cueille une aimable vision, dans un livre, on rafle une pensée. Une scène de la vie quotidienne nous émeut, nous indispose […] Dans le ciel, un nuage prend la forme d’un visage aimé. Ces copeaux, tombés de la roue du temps, sont jetés dans le carnet de notes. De l’harmonisation de ces instantanés jaillira une géographie de l’instant ».( Comme j’aimerais écrire comme ça!!!…)
–« Il y a des êtres comme cela, insolents, désinvoltes, étrangers aux circonstances. La grotesque agitation de leurs semblables les ennuie au suprême. Ils savent le chant d’un oiseau ou le vers d’un poète plus importants que les affaires des hommes. A l’humanité empêtrée dans ses guerres, ils semblent dire: »un peu de silence, s’il vous plait! « . C’est vrai, quoi, dans ce monde, on n’entend plus le rossignol! »
-« Nous sommes entrés dans le temps de la connexion permanente […]Les auteurs explorent les bouleversements qu’Internet a provoqué dans tous les champs de nos existences, se félicitent de l’accélération cybernétique, s’enthousiasment de la révolution qui point. Peut-on se permettre un bémol? Et signaler que souvent, Fogel et Patino confondent la puissance de réseau, son avancée fulgurante, sa force virale, sa capacité d’envahissement, avec se valeur intrinsèque. Ce n’est pas parce que nous sommes tous connectés en permanence qu’il en sortira quelque chose. Disposer en un clic de tout le savoir du monde ne rend personne intelligent et Aristote a pu produire sa Métaphysique sans logiciel ».
–« Il faut militer pour le recul des écrans qui envahissent le champ de nos existences. Et lutter contre ce discours marchand qui nous promet une société et un monde meilleur grâce aux nouvelles technologies. Nous sommes encore quelques mohicans à préférer le sens de l’orientation au GPS, le sentiment de la Nature à Google Earth, la truculence aux dictionnaires en ligne […] Ils oublient vite, ces hypnotisés du virtuel qu’en matière de technologie, il y a une chose sous nos cheveux qui s’appelle le cerveau. Et que cette très ancienne invention est autrement plus mystérieuse, puissante, passionnante, évolutive et prometteuse que toute application numérique clignotant tristement sur un écran livide. » (parvenir à critiquer la technologie avec poésie… Trop fort!)
-« Marcher, c’est célébrer la lenteur dans un monde qui s’agite; accepter l’ennui dans une société qui ne croit qu’au divertissement; s’adonner à un plaisir modeste dans un système où tout se paie; se replier dans ses pensées dans le brouhaha ambiant […] Flâner, courir les bois, se promener, musarder, sont des actes de liberté, minuscules certes, mais qui appartiennent à celui qui les accomplit ».
-« La marche est un alambic qui distille les scories du corps ».
-« J’ai identifié dans la marche et dans l’écriture des activités qui permettent, sinon d’arrêter le temps, du moins d’en épaissir le cours ».
–« La lecture est un refuge par temps de laideur.[…]. Lire nous confirme que la solitude est un trésor. Lire c’est laisser une parole s’élever dans le silence, vous traverser, vous emporter et vous laisser, métamorphosé, sur le rivage de la dernière page. Pour que cette alchimie opère, il faut être seul ».
Extraits du livre « Une très légère oscillation »:
-« Ces derniers mois, j’ai souffert des bavasseries électorales, des huées des députés, des harangues de nos intellectuels. Tous ces gens clamant leurs certitudes sont passablement vulgaires. Si les bêtes et les fleurs sont si nobles, c’est par la grâce de leur mutisme suppliant. Comme il parait doux, le ballet silencieux des cumulus, après ces coulées logorrhéiques »
-« C’est l’aube, le ciel est pur, neuf. Les passereaux se réveillent en pépiant, une tourterelle, déjà, roucoule sous le toit, l’air a gagné quelques degrés de température et l’on entend le crépitement de la neige réchauffée par un rayon mauve. Un chat s’étire en craquant, une araignée répare sa toile éventrée par un drame nocturne, les premières pensées s’ébrouent dans la tête, encore gauches, encore engluées de sommeil. Et c’est dans un tel moment de jeunesse, de gloire et de grâce qu’il faudrait allumer la radio pour écouter les « matinales »?
-« La seule leçon que nous donnent les morts, c’est de nous hâter de vivre. De vivre plus, de vivre avidement. De s’échiner à un surplus de vie. De bénir tout instant.Et d’offrir ce surcroît de vie à eux, les disparus, qui flottent dans le néant, alors que la lumière du soir transperce les feuillages ».
–« Le seul inconvénient de la disparition de l’humanité est qu’il n’y aura personne pour se réjouir de l’évènement ».
« La politique de l’enfant unique vient d’être supprimée en Chine. Désormais, chaque petit chinois pourra partager avec son petit frère ou sa petite sœur son désespoir de vivre dans un monde pollué à mort ».
-« Alain Peyrefitte avait raison, la Chine s’est réveillée. Les européens ne se sont pas encore rendu compte qu’ils étaient au menu du petit-déjeuner ».
Extraits du livre « Sur les chemins noirs » (dont sera tiré le film évoqué plus haut):
–« Il ne s’agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l’outrecuidance de le changer. Non! Il suffirait de ne rien avoir de commun avec lui. L’évitement me paraissait le mariage de la force avec l’élégance. Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs: ne pas tressaillir aux soubresauts de l’actualité, réserver ses colères […] demeurer entre les murs de livres et les haies forestières ». ( Se souvenir de ce conseil génial!)
-« Les nouvelles technologies envahissaient les champs de mon existence, bien que je m’en défendisse. Il ne fallait pas se leurrer, elles n’étaient pas de simples innovations destinées à simplifier la vie. Elles en étaient le substitut.[…] Il était ingénu de penser qu’on pouvait les utiliser avec justesse. Elles remodelaient la psyché humaine. Déjà, elles régentaient la langue, injectaient leurs bêta-bloquants dans la pensée. La vie avait-elle plus de grâce depuis qu’elle transitait par les écrans? «
-« Expression lue sur un panneau à l’entrée d’un chemin: »La praticabilité de cet itinéraire n’est pas garantie ». On devrait annoncer cela à tous les nouveaux-nés au matin de leur vie! »
Je vous propose de visionner l’émission « Thé ou Café » et de regarder cet ( Entretien avec Sylvain Tesson) dans lequelle Catherine Ceylac dresse un joli portrait de l’écrivain. Il y exprime sa passion des livres, nous parle de son travail d’écrivain, et nous parle un peu de lui. Je ne peux m’empêcher de penser que la richesse et l’aisance de son discours changent agréablement de ceux qu’on entend trop régulièrement sur la plupart des réseaux sociaux actuels, et se distinguent des discours tenus par tous ces « influenceurs » à la mode, venus de nulle part, souvent caractérisés par la pauvreté de leur vocabulaire et leur absence totale d’intérêt.
Et il y a aussi cet interview de 2013 :« Une liberté vertigineuse » dans laquelle il nous parle de sa passion des livres…